L’enfer (français) est pavé de (bonnes) certifications

Petite méditation sur la France des règlementations, qui fait vivre l’économie du droit à défaut de l’économie de la connaissance.

Il y a 4 ans, je démissionnais (enfin) de l’Education Nationale, sans avoir même le droit de pénétrer dans le ventre du monstre (le rectorat) pour partager ma décision avec un être humain. Après 15 années de pesanteurs administratives, de lois obscures régissant d’iniques mutations, d’inerties systémiques et de dépressions professorales, je recouvrais ma liberté totale, j’avais des ailes : je devenais (auto-)entrepreneur (sans e).  

Direccte

Liberté chérie ! Je pouvais désormais choisir mes élèves (des adultes consentants, pas de jeunes ingrats illettrés), varier ma pédagogie, allier plaisir de la transmission et utilité des savoirs – bref, j’étais devenue formatrice indépendante, électron libre, et pour seul siège (de mon entreprise) mon corps et mon esprit, électrisés par la nécessité de faire bouillir la marmite. Mais la liberté a un prix, et pas seulement celui de perdre les congés payés. Il fallut bientôt me déclarer à la Direccte – par essence illisible, l’acronyme fait hésiter avec Dirrecte ou Directte – afin d’être identifiée comme « organisme de formation ». Dûment numérotée, de nouveau marquée à la culotte, je pouvais m’estimer heureuse avec ces 10 chiffres, quand le matricule de l’Education Nationale (NUMEN) en comptait 13.

DataDock

Mais le monstre administratif n’allait pas me laisser vaquer en si bon chemin. Foin des indépendants ! Merci de rentrer dans le rang ! Vous êtes bon, vous faites bien votre travail et vos clients sont satisfaits ? Cela ne suffit pas, il faut le prouver par A + B et surtout par les certifications ad hoc. Pour pouvoir travailler avec certaines entreprises, mon « organisme » de formation pas encore décomposé doit être data-docké. Ne sachant s’il supportera un tel traitement, je prends le parti d’être « portée » par une société labellisée DataDock, découvrant au passage l’économie parallèle des certifications qui alimente ceux qui nous y préparent et ceux qui les véhiculent.

Qualiopi

Le temps passe, les temps ne changent pas ; DataDock cède bientôt à Qualiopi (quelle poésie !). J’ai de l’ambition, je vois grand (enfin, à la mesure de mon organisme), j’aspire à de hautes qualifications qui me permettront notamment de mettre un pied dans le CPF (Compte Personnel de Formation)… mais mon organisme regimbe à affronter le vilain Qualiopi et choisit de se soumettre à nouveau à un autre organisme, plus vigoureux, déjà qualiopisé (quel doux néologisme !).

C’est oublier que l’enfer des certifications marche en cascades (ou en lourdes chaînes) : non qualiopisée, je dois malgré tout rentrer dans le Qualiopi mindset et m’assurer que mes ouailles remplissent bien les questionnaires, avant, pendant, après la formation, pendant la pause toilettes, deux mois après, et quels sont vos besoins (comme si l’inscription des stagiaires ne parlait pas d’elle-même), et est-ce que vous avez bien retenu ce qu’on vous appris (comme si ce n’était pas la responsabilité desdits stagiaires de faire leur miel de leur formation) ou encore est-ce que vous vous êtes sentis entouré, porté, chouchouté par votre organisme de formation (avez-vous ressenti un stress au moment de la réception du lien Zoom ? Comment s’est passée l’ascension de l’escalier pour arriver jusque dans la salle ? etc. ).

RNCP

Bref, j’ai commencé à comprendre le truc, entrepris de payer une consultante charmante et efficace pour m’aider à maîtriser ce référentiel qualité en 7 points et 32 items – et me guider par sa main douce et fraîche dans cet enfer qualitatif dont on ne sort qu’après avoir transpiré d’angoisse (et payé à nouveau, pour la certification elle-même). A l’orée de cette grotte horrifiante, le doute m’assaille : et si Qualiopi ne m’ouvrait pas les portes de CPF ? Une terrible vérité se fait jour dans mon esprit (qui va d’ailleurs finir par quitter le noble organisme de formation que je représente, si ça continue)… Bon sang, mais c’est bien sûr, cela ne suffit pas ! Les sirènes grinçantes de la certification RNCP (Répertoire National de la Certification Professionnelle) éclatent d’un rire de hyène : non, tu n’entreras pas si tu ne mets pas tes pieds dans les nôtres, et il faudra payer (nous avons de bons consultants pour t’aider) !

J’en demeure pantelante, sonnée, indécise, irrésistiblement aspirée par ce gouffre de certifications. Qui me tirera de cette mauvaise affaire ? Qui affrontera avec moi le vertige de cet abîme ? Gaspard Koening et son choc de simplification ? En tout cas, certains sont tout disposés à m’accompagner (moyennant finance), comme ce cabinet de consultants qui ne se (enfin, ne nous) voile pas la face et rappelle avec bonhommie sur sa page d’accueil : « Du référencement Datadock à la certification Qualiopi, l’ensemble de ces exigences nouvelles sont extrêmement chronophages et demandent une rigueur extrême ainsi qu’une grande capacité de formalisation. Il en va de même pour la certification des titres délivrés par votre organisme de formation (OPCO) au Répertoire National des Certifications Professionnelles (RNCP). Plutôt que de vous lancer seul dans ces formalités longues et fastidieuses, vous pouvez opter de gagner en efficacité en vous faisant accompagner par un cabinet de conseil spécialisé comme nous. » CQFD !